CHAPITRE III

Kirtan Loor fit de son mieux pour éviter de gâcher par un rictus de satisfaction l’air sévère qu’il avait eu tant de mal à cultiver. Il devait être impitoyable.

Il craignait d’échouer, mais le blâme en revenait à son impatience d’affronter un ancien ennemi enfin tombé à sa merci. Il allait se débarrasser de cette tache dans son dossier. Les gens qui l’avaient tourné en ridicule apprendraient qu’ils l’avaient grossièrement sous-estimé – et qu’ils avaient attiré la catastrophe sur leurs têtes.

Droit comme un I, Kirtan avança à grands pas dans le couloir de l’Expéditif. Le croiseur léger de classe Carrack n’avait pas été construit pour des gens de sa taille. Ses cheveux effleuraient parfois le plafond. Mais Kirtan refusait de baisser les épaules : on disait qu’il ressemblait au Grand Moff Tarkin, en plus jeune et en plus grand. Il avait la chevelure dégarnie, la silhouette efflanquée et le visage cadavérique de son « modèle ». Depuis, il faisait tout pour accentuer la ressemblance, qui lui valait un vague respect parmi ses collègues. À bord d’un navire impérial, qu’on estime un officier des renseignements était chose rare…

Kirtan entra dans les quartiers de détention du vaisseau.

— Je suis venu interroger le prisonnier pris sur le Vent Stellaire.

— Il revient tout juste de l’examen médical.

— Je sais, j’ai lu le rapport. On ne lui a pas communiqué les résultats ?

Le visage du soldat s’assombrit.

— On ne m’a rien dit non plus. S’il est malade, je veux qu’on l’emmène loin d’ici avant qu’il nous contamine !

— Calmez-vous, dit l’agent de renseignement.

Où se trouve-t-il ?

— Cellule numéro trois. Attendez-moi, je vais vous chercher une escorte.

— Je n’en ai pas besoin.

— Ce type a un Indice d’Hostilité quatre. Ça signifie que deux hommes doivent accompagner l’interrogateur.

— Je sais. C’est moi qui lui ai donné cet indice. Je suis capable de m’occuper de lui.

— Souvenez-vous de ça quand vous serez dans une cuve bacta ! lança le lieutenant.

— Je n’y manquerai pas, conclut Kirtan.

Le sas de la cellule trois s’ouvrit avec un sifflement de gaz comprimé. Kirtan se redressa de toute sa taille.

L’homme allongé sur la couchette s’assit.

— Kirtan Loor. J’étais sûr qu’il s’agirait de vous.

— Vraiment ? Comment le saviez-vous ?

Le vieil homme haussa les épaules.

— En fait, j’y comptais bien.

— Vous pensiez que j’étais le seul capable de trouver où vous vous cachiez ?

— Non. Je me disais que même un type comme vous y arriverait !

Kirtan, ébranlé par la méchanceté du prisonnier, recula et se heurta le crâne contre le sas.

Ce n’est pas ainsi que les choses sont censées se passer.

— Gil Bastra, vous allez mourir.

— Je l’ai compris au moment où vos chasseurs Tie ont commencé à me tirer dessus.

— Non, vous ne comprenez pas à quel point votre situation est désespérée. Vous êtes en train de mourir maintenant.

— Que voulez-vous dire ?

— Quand nous avons capturé le Vent Stellaire, j’ai ordonné qu’on vous fasse subir un examen médical. Vous vous souvenez de l’époque où vous étiez à la Sécurité corellienne, et où j’étais un agent des Renseignements impériaux attaché à votre bureau ? Peut-être avez-vous oublié comment vous m’avez ridiculisé quand j’ai utilisé du skirtopanol pour interroger un contrebandier allié à la Rébellion ? Vous m’avez dit qu’il était mort pendant l’interrogatoire parce que son patron obligeait ses gens à absorber de la lotiramine, qui métabolise la drogue et entraîne l’amnésie ou, dans certains cas, la mort.

Kirtan s’interrompit et fit un sourire de prédateur à son prisonnier.

— Votre sang contient d’importantes quantités de lotiramine. Et vous avez une blastonécrose galopante.

— Comment ? Vous mentez !

— Non. La lotiramine a pour effet secondaire de masquer les enzymes permettant de repérer cette maladie. Nos équipements sont supérieurs à ceux des Rebelles. Nous avons détecté les enzymes.

Les épaules de Gil Bastra s’affaissèrent.

— La fatigue, le manque d’appétit… Je pensais que c’était dû à l’âge…

— Vous êtes vieux. Et vous êtes en train de mourir. Je ne peux rien faire contre le vieillissement, mais il existe un remède contre la blastonécrose.

— Il me suffit de trahir mes amis pour être guéri, c’est ça ?

Regardant le vieil homme, Kirtan se sentit embarrassé d’avoir jadis craint son jugement. Il n’avait pas été son supérieur direct, mais il choisissait les officiers chargés de travailler avec les Renseignements. Son mépris s’était reflété dans la qualité du personnel qu’il envoyait à Kirtan.

— Vous avez plus d’énergie que vous aimeriez me le faire croire. Je sais que vous avez fabriqué de nouvelles identités pour vos associés, avec grand talent, dois-je dire ! Mais vous avez commis des erreurs quand il s’est agi de votre propre couverture. Sans doute étiez-vous trop vieux pour changer totalement de mode de vie. Je me doutais que vous trouveriez un vaisseau de fret et que vous partiriez à l’aventure dans la galaxie. Vous avez parié, et vous avez perdu.

Le vieil homme leva la tête, ses yeux bleus pleins de défi.

— Je ne vous dirai rien.

— Bien entendu. (L’agent de renseignement se permit un petit rire.) N’oubliez pas que j’ai appris les méthodes d’interrogation auprès d’experts, vous compris. Vous parlerez, je vous l’assure. Et Corran Horn, Iella Wessiri et son mari seront à moi. C’est inévitable.

— Vous sous-estimez mes capacités, et vous surestimez les vôtres.

— Vraiment ? Je vous connais assez pour savoir que vous craquerez seulement sous une très forte pression. Je peux vous amener à la limite de votre endurance, puis vous plonger dans une cuve bacta jusqu’à ce que vous soyez prêt à subir de nouveau un interrogatoire. De toute façon, vous n’êtes pour moi qu’un moyen d’arriver aux autres. Corran Horn ne tiendra pas longtemps dans le rôle que vous avez imaginé pour lui. Je sais que celui-ci doit lui peser.

Bastra soupira.

— Comment arrivez-vous à cette conclusion ?

— Pensez-vous que j’ai oublié la dispute qui vous a opposés ? Vous avez décidé de le protéger parce que son père avait été votre partenaire, mais vous êtes rancunier, Gil Bastra. Le rôle de Horn a sûrement été conçu pour lui rappeler qu’il doit la vie à un homme qu’il déteste.

— Vous me connaissez…

— C’est vrai !

— … mais pas suffisamment. Je suis rancunier, c’est exact. Assez pour obliger un agent de renseignement tombé en disgrâce à sillonner la galaxie pour capturer trois anciens collègues. Et à y passer le reste de sa vie !

— Je vous ai eu, n’est-ce pas ?

— Et ça vous a pris près de deux ans ! Vous ne vous êtes jamais demandé pourquoi une nouvelle piste surgissait à chaque fois que vous aviez perdu ma trace ? Je voulais que vous me suiviez. Pendant ce temps, vous ne risquiez pas de pourchasser les autres.

Kirtan pointa un doigt tremblant sur le vieil homme.

— Peu importe. Vous serez brisé, et vous me direz comment les retrouver.

— Vous vous trompez. Je suis le trou noir où votre carrière s’engloutira. Rappelez-vous mes paroles quand je serai mort, parce que je passerai l’éternité à me gausser de vous.

Je ne peux pas me laisser humilier de la sorte.

— Je m’en souviendrai, Gil Bastra. Mais sachez que vous ne mourrez pas de sitôt. Et je vous garantis que vous irez au tombeau après avoir trahi ceux qui vous faisaient le plus confiance.